Bien que cela sonne contre-intuitif, une fouille archéologique vient d’avoir lieu pour la première fois dans l’ISS, la Station Spatiale Internationale. L’étude met en évidence l’écart entre les usages prévus et réels. Ces leçons sont importantes pour les futures stations, surtout avec la fin annoncée de l’ISS en 2031. (Source : Slate)
Quand on pense à l’archéologie, on imagine souvent des temples de civilisations anciennes ou des ossem*nts d’animaux d’une autre époque. Pourtant, elle s’applique également à l’étude de la vie humaine dans l’espace. Justin St. P. Walsh, professeur d’histoire de l’art, d’archéologie et d’études spatiales à l’Université Chapman, en témoigne. Depuis 2022, lui et ses collègues réinventent les méthodes archéologiques pour réaliser la première expérience du genre sur la Station spatiale internationale (ISS) avec l’aide des astronautes sur place. Ils viennent de publier les analyses de leurs deux premiers sites de «fouille».
Les résultats offrent un aperçu de la vie dans le plus ancien habitat spatial de l’humanité, occupé par près de 280 personnes au cours des vingt-trois dernières années. En examinant l’utilisation détournée des bandes de scratchs, qui servent de réservoir de gravité pour de nombreux rangements, ces archéologues de l’espace fournissent des informations précieuses aux architectes des futures stations spatiales, telles que la station «Gateway» prévue pour orbiter autour de la Lune. Ils mettent en lumière les manques de rangement et de vie privée.
Tout commence en janvier 2022, lorsque Justin St. P. Walsh et ses collègues demandent aux astronautes de l’ISS (qui parraine l’expérience) d’aménager cinq sites expérimentaux à peu près carrés. Des zones choisies par les archéologues pour couvrir aussi bien les lieux de travail et de sport que de loisir. L’équipage de l’ISS sélectionne aussi un sixième site selon leur propre intérêt. Puis, soixante jours durant, les astronautes photographient ces carrés quotidiennement pour y observer les allées et venues d’objets.
Cette méthode fraîchement inventée est l’équivalent spatial de la plus basique des techniques archéologiques: la prospection au sol. Les photos qui en découlent transmettent la richesse du paysage culturel de l’ISS, tout en balayant quelques stéréotypes issus de la science-fiction sur la vie dans l’espace. La station s’avère chaotique, désordonnée, exigüe, sale. Il n’y a pas de frontières entre les lieux de travail et de repos. L’intimité existe peu, voire pas. Même la douche manque à l’appel.
Deux sites examinés : le mur de maintenance et un mur libre
Ce qui nous amène à nos deux premiers sites. L’un se trouve dans le module états-unien «Harmony,» proche des laboratoires japonais et européen, et où reposent quatre couchettes. Il s’agit donc d’un lieu de passage important. Plus précisément, la cible du premier carré dévoilé est le mur de maintenance –un panneau métallique bleu où sont accrochés quarante scratchs pour y attacher des objets. En dessous, une table pour réparer de l’équipement est visible.
La NASA a imaginé cette zone pour la maintenance, comme son nom l’indique. Pourtant, les archéologues ont observé presque tout sauf ça. Sur cinquante jours, ce lieu n’a servi qu’à stocker des objets. Il faut dire que le nombre de scratchs en fait un coin rangement privilégié. 44% des objets qui y sont passés n’avaient d’ailleurs rien à faire là. Ce qui montre que ces bandes auto agrippantes ont simplement pour vertu d’offrir une sorte de gravité temporaire aux multiples objets qui peuplent l’ISS.
La paroi faisant office d’autre site de «fouille» n’a pas de fonction aussi définie que le mur de maintenance. En fait, elle n’en a aucune. Située dans le module «Tranquility», qui abrite les toilettes et des machines de fitness, la zone est un passage obligé vers l’un des endroits préférés des astronautes: le poste d’observation de la Coupole. L’usage de ce mur sans fonction particulière se révèle donc assez éclectique. On y range un ordinateur portable, des outils pour une expérience antibactérienne, et des sacs réutilisables.
Un membre d’équipage y a même gardé sa trousse de toilette pendant cinquante-deux jours. Ce qui a du sens, vu la proximité des toilettes et des tapis de sport, sur lesquels courent les astronautes plusieurs heures par jour. Mais le caractère très public du lieu (l’équipage y passe constamment) témoigne du peu de place que l’ISS réserve à l’intimité et à l’hygiène.
L’analyse de ces deux premiers sites archéologiques spatiaux révèle donc une distorsion entre les usages prévus et réels.
Grâce à cette collecte de données archéologiques en dehors de la Terre, une première historique, on comprend désormais mieux l’architecture d’une station spatiale et les enjeux sociaux qui s’y jouent. Les quatre sites restants devraient d’ailleurs examiner les relations entre astronautes et les décorations apportées par les membres d’équipage. Cette expérience pourrait être notre seule chance d’étudier l’ISS sous cet angle, puisque la station doit être détruite en 2031.
Bruno Mariotti
